lundi 22 février 2010

La Reine de Saba, Marek Halter

Paul Vredeman de Vries 1567-1630, Salomon et la reine de Saba
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« Te voilà si belle
Mon amie
Te voilà si belle
Tes yeux
Oh des colombes »
Le Cantique des cantiques

Elle était noire. Elle était belle. L'Ancien et le Nouveau Testament ainsi que le Coran l'attestent. Grâce à elle, l'homme africain se marie à la mythologie de l'homme blanc. Contrairement aux reines grecques qui mettaient au défi leurs soupirants sur les champs de batailles, la reine de Saba met au défi le roi Salomon sur le champ de l'intelligence.
Elle était noire. Elle était belle. Elle subjuguait par son esprit. Guerrière, elle imposa la paix, neuf siècles avant notre ère, sur le fabuleux royaume de Saba, pays d'or et d'encens. Mais sa plus belle bataille fut celle de l'amour et de l'intelligence mêlés. Elle défia le roi Salomon par le jeu des énigmes. Vaincue, elle se donna à lui pour trois éblouissantes nuits. Trois nuits que le chant du Cantique des cantiques inscrira pour l'éternité dans la mémoire amoureuse de l'Occident.L'histoire nous dit que Makéda, reine de Saba, et Salomon, roi de Juda et d'Israël, eurent un fils, Ménélik, le premier d'une longue lignée de rois africains. A la suite de la Bible, des Evangiles et du Coran, la reine de Saba a fait rêver des générations de peintres, de poètes et d'écrivains. Aujourd'hui, s'appuyant sur les dernières fouilles archéologiques, Marek Halter part à son tour à sa rencontre. Il nous révèle une reine de Saba d'une modernité inattendue.
Editions: Robert Laffont
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Extrait
Akebo plissa les paupières. Alentour de la ville des hommes déjà poussaient des mules bâtées sur les chemins de terre qui sinuaient entre les champs et les bosquets de balsamiers et de lubân. Ici et là, on voyait les enclos des troupeaux de chameaux à laine noire, les toitures de palmes des granges aux murs de torchis. La richesse de Saba s’éveillait. Dans quelques heures le soleil lèverait les parfums et dans moins d’une lune le peuple de Saba commencerait les première récoltes des feuilles d’aloès au suc plein de vertige. Puis viendrait le temps de la myrrhe et de l’encens. L’or de Saba était dessus le sol aussi bien que dessous. Il pouvait être vert aussi bien que scintillant.
Akebo tressaillit. Une main menue venait de se fermer sur son index et son pouce.
— La trompe m’a réveillée.
Makeda ! Son enfant chérie et unique. Tout à la beauté qui s’offrait devant lui, Akebo ne l’avait pas entendue venir.
— Bonjour, ma fille.
— Bonjour, mon père. Je savais que tu étais là. J’ai couru avant que Abi-Alwa veuille me mettre ma robe de jour.
De fait, elle était pieds nus, son petit corps élancé recouvert d’une simple tunique de nuit. Sa chevelure épaisse, en désordre, aux boucles drues teintées de reflets de cuivre lui couvrait les épaules. Assurément, ce n’était pas ainsi qu’une jeune princesse devait se présenter devant son père.Akebo sourit au lieu de gronder.
Avait-il jamais fait autre chose lorsqu’il s’agissait de Makeda ?
La beauté de sa fille équivalait à la beauté de la plaine de Maryab et, à six ans, son caractère était déjà le miroir de celui de son père. Il n’avait aucune raison de se plaindre du cadeau que lui avait fait Almaqah. Même si cela avait été au prix de la plus terrible perte. Même si, en secret, une nuit, il avait versé des larmes.
Comme si Makeda devinait les pensées de son père, elle serra un peu plus fort sa puissante main amputée de ses doigts fragiles.
— Cette nuit, annonça-t-elle, maman est revenue me voir dans mon sommeil. Elle te fait dire qu’elle est heureuse et qu’elle compte le temps qui la sépare de nous.
L’émotion durcit les traits d’Akebo. Il ne répondit pas. Makeda ajouta avec un soupir :
— Plus que trois jours et deux nuits !
Akebo approuva d’un grognement.
Il partageait l’impatience de sa fille. Plus que trois jours et ils franchiraient, main dans la main, l’enceinte de Mahram Bilqîs, le plus grand des temples qu’un homme de Saba eut élevé à son dieu et le plus beau des sanctuaires qu’on eût bâti pour accueillir l’âme d’une défunte : Bilqîs, mère de Makeda, fille de Yathî’amar Bayan, épouse d’Akebo le Grand, mille fois aimée et mille fois pleurée.

Tintoret 1518-1594, Salomon et la reine de Saba

4 commentaires:

  1. oh oui! Bilqis. Je mets le livre sur ma liste. Merci! et qq lignes de WB Yeats:
    "Sang Solomon to Sheba,
    And kissed her dusky face,
    "All day long from mid-day
    We have talked in the one place,
    All day long from shadowless noon
    We have gone round and round
    In the narrow theme of love
    Like a old horse in a pound."

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  2. Un destin qui continue de nous faire rêver... Je vais sans nul doute succomber au charme fascinant de ce livre!!!
    De gros bisous

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  3. Dis nous si tu as aimé ce livre et pourquoi ?

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  4. @ Kenza
    Je vous remercie encore pour votre jolie surprise à toi et à petit et adorable Caramelo!!
    Et je suis doublement touchée, car le présent billet est dédié à mon défunt papa qui nous a quitté il y a bientôt 13 ans.
    Gros bisous à vous deux

    @ Karine
    Ma chère Karine, merci encore pour les délicieux moments que nous avons partagés ensemble la semaine dernière! Mémorables! A renouveler dès qu’une occasion se présente...
    Bisous, bisous

    @ Enitram,
    Si je parle de "La reine de Saba" de Marek Halter, c'est bien évidemment que j'ai aimé le roman.
    Je suis passionnée par l’histoire de cette reine mythique qui me fascine depuis ma tendre enfance! Ce billet à une dimension affective et personnelle, je l'ai publié en mémoire de mon défunt papa qui m'appelait depuis toute petite "sa reine de Saba". Le choix de l'extrait est volontaire...
    Très belle et agréable journée

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard